Comment la coopération au développement peut-elle mener ses activités dans un monde sous tension ? C’est la question à laquelle a répondu Jacques Forster lors d’une conférence à Loveresse.

En 2024, la Fédération interjurassienne de coopération et de développement (FICD) célèbre ses 30 ans. Entre défis climatiques et agitations politiques qui ébranlent un monde toujours plus instable, l’action des Organisation non gouvernementales régionales qui la composent se complexifie. Ce mardi 20 mars, à l’invitation de l’organisation faîtière, Jacques Forster, professeur honoraire de l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève, est venu décrypter ce monde de la coopération au développement. Les propos de l’ancien vice-président du Comité international de la Croix-Rouge (1999 à 2007) se sont appuyés sur la trilogie qu’il a écrite et intitulée « Coopération Nord-Sud : la solidarité à l’épreuve ».  
Revenant sur l’impact de la coopération, il relève que les engagements pris en 2000 avec les Objectifs du Millénaire ont eu un effet sensible sur la réduction de l’extrême pauvreté. Avec une nuance : « Toutes les régions n’en ont pas profité. Une partie des résultats s’explique par l’action de la Chine qui a réduit massivement la pauvreté. » Toutefois, il est difficile de mesurer les effets de la coopération en raison de « sa gigantesque diversité. »

Un monde sous tension 

Avec le Covid, l’extrême pauvreté est repartie à la hausse, effaçant les bons résultats obtenus. « Aujourd’hui, on est dans un monde sous tension où le caractère d’urgence de certaines d’entre-elles dissimule celles qui sont plus permanentes. » 

L’Ukraine ou la Bande de Gaza, ainsi que les tensions Sino-américaines autour de Taïwan masquent d’autres réalités. Comme sources de tension constante, Jacques Forster cite le changement climatique ou la centaine de conflits en cours dans le monde « Certains durent depuis des décennies. » Face à ce constat, le conférencier l’affirme : l’aide publique au développement (APD) ne peut pas être provisoire, l’effort doit s’inscrire dans la durée et bénéficier d’une vraie volonté politique. « Il y a 70 ans, les gouvernements ont souscrit l’objectif de consacrer 0,70 % de leur PIB à l’APD. On est loin du compte ! » 

Droit de veto dévastateur 

Comme exemple d’immobilisme politique, Jacques Forster revient sur le fameux droit de veto dont disposent les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, utilisé par chacun selon ses intérêts nationaux. « C’est un droit qui rend impossible la prise de décision efficace. Ajoutez encore l’affaiblissement de la coopération multilatérale à cause des Etats qui interviennent dans l’action des organisations internationales (O.I.), « les transformant en organismes d’exécution », et dont les effets vont à l’encontre de l’intérêt de leur propre population. 
Le conférencier explique un concept qui lui tient à cœur, celui de la sécurité humaine. Il ne s’agit plus de se limiter à soutenir les besoins matériels des êtres humains (alimentation, santé, …), mais il convient également d’assurer la sécurité des personnes et des communautés. « Avant, l’État protégeait ses citoyens d’agressions extérieures. Aujourd’hui, pour de nombreuses populations, le danger vient de leur propre gouvernement. » 

Les ONG en avocat 

Pour celui qui fût président de la Fédération neuchâteloise de coopération au développement, il est indispensable que les fédérations, via leurs membres, conservent un lien fort avec le terrain et tissent des partenariats sur le long terme avec les bénéficiaires. 

En guise de conclusion Jacques Forster encourage les ONG « à prendre le rôle d’avocat des communautés pour lesquelles elles travaillent » en insistant sur trois points : la sensibilisation des populations, le lobbying pour ancrer l’APD dans l’agenda politique et sur le travail à l’international de manière à réaliser des actions concertées afin de secouer la conscience des gouvernements, à l’image du travail effectué par Amnesty ou Oxfam. » .


Bruce Rennes ● Chargé de projets